Études greniennes n° 10. Julien Green et les écrivains d’expression anglaise

Éditorial, par Marie-Françoise Canérot

En mémoire de Cathy Ravoahangy

Le retour après dix années à la présence de la langue anglaise et de sa sœur émigrée aux États-Unis dans l’univers et l’histoire de Julien Green est-il le fruit du pur hasard ? Il est plutôt le don de cette merveille qu’est le Journal de Julien Green : tant de chercheurs ont tourné tant de fois ses pages pour nos journées d’études et nos colloques qu’ils se devaient d’être fascinés et interrogés par l’incessant retour dans ces notations journalières des écrivains anglophones. Ainsi Green était non seulement un exilé amer de la terre américaine mais un enfant, un adolescent, un adulte puisant sans retenue dans les délices de la langue et de la littérature d’expression anglaise. Or, dans le même temps, c’étaient les mots, les sons, les cadences, les tournures, la grammaire de la langue de son pays natal, la France, qui le préparaient à devenir écrivain français et à le demeurer.

Peut-être un premier mystère pour le chercheur : cette mise à distance – craintive ? – de la langue de la mère au profit de celle de bonnes bien françaises et de chaleureux commerçants du quartier... Or la distance ne s’efface pas avec l’âge qui vient : malgré l’amour infini entre le fils et la mère, l’enfant parle mal l’anglais. Green fait donc l’expérience, dès sa première enfance, qu’« une langue est aussi une patrie ».

La langue française, patrie de l’éveil de l’esprit, de la maîtrise du réel, modestement poétique. La langue anglaise, patrie de la mère, de sa fidélité au Sud, de son idéal de grandeur et de sainteté. Il y a du chevaleresque chez tous les membres de la famille Green et... un peu de démence. Et toute cette humanité, pétrie par une terre et une histoire pleines de passions, de rêves, de douleurs, s’exprime en anglais. Alors comment, pour le dernier né, ne pas lui rester spontanément fidèle à travers la lecture de l’admirable littérature anglaise, de son ensorcelant romantisme que le matériau de la langue ne trahit pas ? Jamais de commentaire critique dans le Journal, mais les aveux inlassablement réitérés du bonheur de lire.

Cependant, parallèlement, le français, au milieu des âpres et splendides romans de l’ennui et de la désespérance dans des univers étriqués, se doit, par poussées de plus en plus exigeantes, de dire le flamboiement (n’oublions pas que Joseph Day est roux) fascinant et périlleux du Sud.

Comment dans une revue, réussir à rendre sensible aux lecteurs le jeu complexe en Green du lecteur et de l’écrivain, de la langue qu’il manie et de celle qu’il dévore ? Peut-être comme ici en appelant à réagir des spécialistes de la littérature anglophone – chercheurs, traducteurs – aux œuvres et aux confidences de Julien Green. La démarche a été fructueuse en découvertes, en présupposés, en étonnements, en questions sans réponse qui tous manifestent les rapports secrets des langues à l’histoire, à la psychologie, à l’inconscient du locuteur. Que nos collaborateurs en soient tous vivement remerciés !

C’est un champ de fouilles prometteur que ce n° 10 remet à jour (car de grands travaux ont été déjà menés sur ce terrain). Nous suggérons que tout chercheur avide de scruter la passion de lecteur de Julien Green pour les écrivains d’expression anglaise nous le fasse savoir...

Nous attirons aussi l’attention sur le compte rendu de la visite de la SIEG au Père Kim en Joong, admirable artiste dans le domaine du vitrail, qui entoura Julien Green de son amitié et de sa foi dans les dix dernières années de sa vie.

17 février 2019, par Carole Auroy-Mohn

| Mentions Légales | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0