Entre le rêve de la petite cellule aux murs blancs qui le hantera sa vie entière et la transposition appliquée, dans Les Pays lointains, des majestueuses et flamboyantes demeures de ses ancêtres américains, entre la modeste maison de Phœbé dont la simplicité évangélique rayonne la douceur de vivre et les romans greeniens où la prolifération des objets n’a d’égal que les violences qu’ils suscitent, entre l’étudiant qui part en Amérique puis en revient sans bagages et le diariste qui, quelques années plus tard, note sa fascination pour les somptueux rideaux jaunes offerts à l’homme de sa vie, comment atteindre les racines de la psyché greeniennes et en saisir le Rêve.
Le numéro 12 d’Études Greeniennes avait aidé le lecteur à mesurer la dimension magique et onirique du « réel » dans lequel se débattent les personnages de Julien Green. Le numéro 13 obtient de l’éclairer sur la vérité « nue, crue et brute » que « la vie secrète des choses » extirpe de leur inconscient et de celui de leur créateur : la passion forcenée du Tout.
Sevré durant l’enfance des choses de la vie présente sacrifiées à celles d’un passé déceptif mais inoubliable ; sevré durant son interminable adolescence de son corps et de tous les corps, Julien Green n’a pu à jamais que vivre dans le désir de toutes choses, rêver et écrire la jouissance venue de toutes choses. Délire d’orgueil seul capable de rendre supportable la honte de n’avoir pu transfigurer la privation en quête de l’absolu insaisissable ; de n’avoir pu préférer à la vie inquiétante et fascinante des choses le vide lumineux et plein d’une cellule de couvent, d’avoir sacrifié le Rien au Tout.
De la bonne conscience inébranlable, morale, sociale, politique des Sudistes étalés dans la surcharge de leurs décors domestiques à la fascination meurtrière d’un père de famille pour l’éclat de ses pièces d’or accumulées, d’un bras blanc entrevu au besoin irrépressible de jouir du corps tout entier, autant d’admirables témoignages dans les romans greeniens des ravages tragiques de la frustration de leur auteur. Ce numéro 13 d’Études Greeniennes, fascinant, oblige à se convaincre – sans en désespérer – de la « vie secrète des choses » qui nous entourent et de la formidable puissance de Révélation de l’écriture greenienne.