Éditorial, par Marie-Françoise Canérot.
La nuit, chacun fait ce qu’il veut. L’invisibilité, paradoxalement, décuple la puissance : elle lui confère l’inestimable privilège de la liberté.
Le doux Julien Green – l’homme et l’écrivain – aura, de l’enfance à la mort, osé capter à son profit les pouvoirs, purificateurs ou démoniaques mais toujours exaltants, que vous obtient l’exploration nocturne. Il est le double ou le rival de tous les artistes – écrivains, peintres, musiciens – qui furent des oiseaux de nuit et souvent des oiseaux de proie. Comment, s’il en est ainsi, mieux célébrer sa puissance créatrice qu’en évoquant ses liens avec la nuit ?
Puissance d’un romancier-conteur qui ose les plus sombres histoires, arrachées à la nuit de la conscience, mais qui est également habité par le sens du destin, car la liberté nocturne est condamnée de toute éternité à cesser avec le jour et ses interdits accablants.
Puissance d’un diariste qui, sur près de soixante-dix années, traque ses rêves nocturnes et fixe les éblouissements que, dans l’espace quotidien ou celui des musées, lui procurent la clarté lunaire et le ciel étoilé, les villes nocturnes et les intérieurs doucement éclairés...
Puissance d’un poète dont l’œuvre entière est celle d’un visionnaire lié viscéralement au rythme archaïque du jour et de la nuit, mais qui découvre peu à peu que, pour lui aussi, « chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière ».
S’enfoncer dans la nuit greenienne, c’est donc pénétrer au cœur battant d’un homme et d’un imaginaire.