Soif térébrante, éblouissement révérenciel… La violence des émotions que déchaîne, dans l’œuvre autobiographique et romanesque de Julien Green, l’apparition des corps est le site d’un faisceau d’énigmes. L’énigme est d’abord celle d’un désir, vertigineux, qui oscille entre l’appel de la beauté et la fascination par la laideur ou la cruauté, qui caresse le mirage d’une humanité asexuée et réclame des festins sensuels, tandis que plane le « rêve immémorial d’une humanité déchue, la volupté qui arracherait l’homme à la terre sans le laisser retomber » (Partir avant le jour). L’interrogation psychologique se double d’une perplexité morale et métaphysique devant la frontière vacillante sur laquelle se perd l’innocence du regard sur le corps, d’une méditation religieuse sur la « bénédiction redoutable » qui sanctifie la chair (Mille chemins ouverts), d’un étonnement enfin devant la puissance de l’art, qui à la fois idéalise la beauté des corps et éveille l’expérience ravageuse du durus amor.
Aux apparitions du corps de l’autre est intriquée la révélation du corps à lui-même, qui se prolonge dans la découverte spéculaire de son image et aussi lorsque se dissolvent ses propres limites, en des expériences d’ivresse panique ou de contemplation extatique vécues au sein de la nature.
La journée d’étude qui s’est tenue à l’Université d’Angers le 11 mai 2012 a projeté des éclairages divers sur la dramaturgie des corps dans l’univers greenien, sur l’esthétique de leur représentation, les expériences de conscience dont ils sont les supports et les interrogations éthiques que fait jaillir l’habitation d’une demeure de chair.
La visite vespérale du Musée David d’Angers, offerte aux participants par le CERIEC, leur a permis de prolonger au milieu d’un peuple de statues de marbre les rêveries impulsées au long de cette journée par l’œuvre de Julien Green.